À un moment donné, je me mis à écrire mes propres histoires. L’imitation précède la création ; je recopiais mot à mot Combat Casey dans mon cahier Blue Horse, y ajoutant parfois une description personnelle quand elle me paraissait s’imposer.
Ma première idée d’histoire vraiment originale – je crois qu’on sait tout de suite quand c’est le cas –
deux idées jusqu’ici sans rapport sont mises en contact et produisent quelque chose de nouveau sous le soleil.
Si jamais vous écrivez (ou peignez ou dansez ou sculptez ou chantez, peu importe), il y aura toujours quelqu’un pour essayer de vous faire croire que vous êtes un minable, c’est tout.
– Quand on écrit une histoire, on se la raconte, reprit-il. Quand on se relit, le gros du travail consiste à enlever ce qui ne fait pas partie de l’histoire. »
J’avais déjà commencé ma carrière d’enseignant lorsque je m’assis devant ma machine à écrire, un soir, pour faire un petit essai. Je rédigeai un premier brouillon de trois pages à interlignes simples qui finit à la corbeille à papier.
appris ce que Carrie White m’a appris. Ce que j’ai découvert de plus important, c’est que la perception qu’a l’auteur de ses personnages, au départ, peut être aussi erronée que celle du lecteur ; et, presque aussi important, j’ai compris que le fait d’arrêter la rédaction d’un texte simplement parce que c’est difficile, sur le plan affectif ou sur celui de l’imagination, est une mauvaise idée. Il faut parfois continuer même quand on n’en a pas envie, et il arrive qu’on fasse du bon boulot alors qu’on a l’impression d’être là, à pelleter bêtement de la merde, le cul sur une chaise.
mettez votre bureau dans un coin et, chaque fois que vous vous y installerez pour travailler, rappelez-vous pour quelle raison il n’est pas au milieu de la pièce. La vie n’est pas un système logistique destiné à soutenir l’art. C’est le contraire.
Le plus usuel de ces plus usuels, le pain et le sel de l’écriture, c’est le vocabulaire.
Placez votre vocabulaire dans le compartiment supérieur de votre boîte à outils, et ne faites aucun effort conscient pour l’améliorer (ce qui finira par arriver à force de lectures, bien entendu… mais le temps s’en chargera). L’un des mauvais coups que vous pouvez porter au texte que vous écrivez serait d’en châtier le vocabulaire en cherchant à y introduire des mots longs ou rares parce que vous auriez honte des mots petits et courants que vous employez. Autant habiller votre chien ou votre chat en tenue de soirée. La pauvre bête se sentira mal à l’aise et l’auteur de cet acte de mignardise préméditée bien embarrassé. Faites-vous dès maintenant la promesse solennelle de ne jamais écrire émolument à la place de paye
grossière, mais d’être simple et direct. N’oubliez jamais que la première règle, en matière de vocabulaire, est d’utiliser le premier mot qui vous vient à l’esprit, s’il est approprié et expressif. Si vous hésitez et vous mettez à cogiter, vous finirez par trouver un autre mot – il y en a toujours un –, mais il ne sera sans doute pas aussi bon que le premier, ne traduira pas aussi bien ce que vous vouliez vraiment dire.
Prenez un nom quelconque, conjuguez un verbe avec et vous avez une phrase. Ça ne rate jamais. Les rochers explosent. Jane transmet. Les montagnes flottent. Toutes ces phrases sont parfaites. Sur le plan rationnel, elles n’ont guère de sens, mais même les plus bizarres (Les prunes déifient !) ont quelque chose de poétique qui n’est pas sans charme. La simplicité de la construction nom-verbe est utile ; elle a au moins l’avantage de vous procurer un filet de sécurité quand vous écrivez. Strunk & White nous mettent en garde contre une série ininterrompue de phrases trop simples, mais les phrases simples sont la voie que l’on peut suivre lorsqu’on a peur de se fourvoyer dans les méandres de la rhétorique – toutes ces clauses restrictives et non restrictives, ces éléments modificateurs, ces appositions et ces phrases à construction complexe. Si vous vous mettez à paniquer à la vue de ce territoire pour lequel vous êtes peut-être démuni de cartes, rappelez-vous simplement que les rochers explosent, que Jane transmet, que les montagnes flottent et que les prunes déifient. La grammaire n’est pas juste un truc casse-bonbons ; elle est le bâton sur lequel vous vous appuyez pour que vos pensées partent du bon pied et cheminent. Sans compter que toutes ces phrases ont très bien fonctionné pour Hemingway, non ? Même ivre mort, il n’en restait pas moins un putain de génie.
Les verbes se présentent sous deux formes, la voix active et la voix passive. Avec un verbe actif, le sujet de la phrase est celui qui fait l’action. Avec un verbe passif, quelque chose est fait au sujet de la phrase. Le sujet laisse la chose se faire. Vous devriez éviter la voix passive. Ce n’est pas moi qui le dis ; le conseil figure déjà dans The Elements of Style.
L’autre conseil que j’aimerais donner avant de passer au deuxième compartiment de la boîte à outils est celui-ci : l’adverbe n’est pas un ami. Les adverbes, vous vous en souvenez sans doute car ça traîne dans tous les livres de grammaire, sont des mots qui modifient les verbes, les adjectifs ou les autres adverbes. Des mots qui se terminent en général en -ment (-ly en anglais). Comme la voix passive, ils donnent l’impression d’avoir été créés pour le bonheur des écrivains timides. Lorsqu’il utilise la voix passive, l’écrivain trahit en général sa peur de ne pas être pris au sérieux ; elle est la voix des petits garçons à la moustache dessinée au cirage et des petites filles clopinant dans les talons hauts de maman. Avec l’adverbe, l’écrivain trahit le fait qu’il craint de ne pas s’être exprimé avec clarté, d’être passé à côté de ce qu’il voulait souligner ou du tableau qu’il voulait esquisser.
L’autre conseil que j’aimerais donner avant de passer au deuxième compartiment de la boîte à outils est celui-ci : l’adverbe n’est pas un ami. Les adverbes, vous vous en souvenez sans doute car ça traîne dans tous les livres de grammaire, sont des mots qui modifient les verbes, les adjectifs ou les autres adverbes. Des mots qui se terminent en général en -ment (-ly en anglais). Comme la voix passive, ils donnent l’impression d’avoir été créés pour le bonheur des écrivains timides. Lorsqu’il utilise la voix passive, l’écrivain trahit en général sa peur de ne pas être pris au sérieux ; elle est la voix des petits garçons à la moustache dessinée au cirage et des petites filles clopinant dans les talons hauts de maman. Avec l’adverbe, l’écrivain trahit le fait qu’il craint de ne pas s’être exprimé avec clarté, d’être passé à côté de ce qu’il voulait souligner ou du tableau qu’il voulait esquisser. Prenons la phrase : Il referma brutalement la porte. Phrase qui n’a rien de bien terrible (mis à part qu’elle emploie la voix active), mais demandons-nous si brutalement a bien sa place ici. On peut faire remarquer qu’il exprime une différence de degré entre : Il referma la porte, et : Il claqua la porte. Je veux bien. Mais… et le contexte ? Que faites-vous de toute la prose qui précède et éclaire les choses (pour ne pas dire qu’elle nous a peut-être aussi émus) avant qu’on en arrive à : Il referma brutalement la porte ? Ne devrait-on pas déjà savoir comment notre héros va refermer la porte ? Si ce qui précède nous éclaire, brutalement n’est-il pas de trop ? N’est-ce pas redondant ?
Je suis convaincu que la peur est à l’origine de la plupart des mauvais textes.
Vous savez probablement de quoi vous parlez, vous pouvez sans doute donner toute son énergie à votre prose avec des verbes à la voix active. Et vous devez avoir écrit votre histoire de telle manière que lorsque vous utilisez dit-il, le lecteur saura comment votre personnage l’a dit : vite ou lentement, avec joie ou tristesse.
Strunk et White proposent les meilleurs instruments (et les meilleures règles) que l’on peut espérer et les décrivent avec clarté et simplicité.
la meilleure manière de placer la partie la plus importante d’une phrase. Chacun a droit à son opinion en la matière, mais je ne crois pas que c’est avec un marteau qu’il a tué Frank vaudra jamais Il a tué Frank à coups de marteau.
Le paragraphe idéal comporte une phrase présentant le sujet, suivie d’autres qui expliquent ou amplifient la première.
Les livres faciles comportent de nombreux paragraphes courts – y compris des dialogues dans lesquels ces paragraphes peuvent ne comporter qu’un mot ou deux – et beaucoup d’espaces blancs. Ils sont aussi légers que les meilleures meringues. Les livres difficiles, les livres pleins d’idées, de passages narratifs, de descriptions, ont un aspect plus rébarbatif. Un aspect compact. Les paragraphes sont presque aussi importants pour leur aspect que pour ce qu’ils disent ; ils trahissent les intentions de l’auteur.
Dans la fiction, les paragraphes sont moins structurés ; ils constituent le rythme et non la mélodie. Plus vous lirez et écrirez de romans, plus vous constaterez que vos paragraphes se forment tout seuls. Et c’est à cela qu’il faut aboutir. Lorsqu’on compose, il vaut mieux ne pas trop penser aux coupures des paragraphes ; l’astuce est de les laisser s’imposer de façon naturelle.
Presque tout le monde se souvient du jour où il a perdu sa virginité, et la plupart des écrivains sont capables de se souvenir du premier livre qu’ils ont reposé en se disant : Je peux faire mieux que ça. Bon sang, je fais déjà mieux que ça ! Que pourrait-il y avoir de plus encourageant, pour l’écrivain en herbe, que de se rendre compte que son travail est sans conteste meilleur que celui de quelqu’un qui a été payé pour le sien ?
Sept mois plus tard, je suggérai à ma femme qu’il vaudrait peut-être mieux interrompre les leçons de saxo, si Owen était d’accord. Owen fut d’accord et son soulagement, palpable ; il n’avait rien voulu dire, surtout après avoir demandé qu’on lui offre un instrument, mais il avait eu largement le temps, en sept mois, de se rendre compte que s’il pouvait adorer les puissantes sonorités de Clarence Clemon, le saxophone n’était pas son truc : Dieu ne lui avait pas accordé ce talent-là. Je le savais moi aussi, non pas parce qu’il avait arrêté de s’exercer, mais parce qu’il ne jouait qu’une demi-heure après l’école, quatre jours par semaine, plus une heure pendant les week-ends – autrement dit en respectant à la lettre le programme établi pour lui par Mr Bowie. Owen maîtrisait convenablement sa gamme – question mémoire, poumons, coordination œil-main, tout allait bien –, mais nous ne l’avions jamais entendu s’éclater, se surprendre lui-même avec quelque chose de nouveau, se faire plaisir. Et dès que le temps réservé à l’exercice était écoulé, le saxo retournait dans sa boîte, dont il ne sortait que pour la leçon ou répétition suivante. Ce qui laissait à penser que jamais la relation de mon fils au saxo ne prendrait un caractère ludique, qu’elle ne serait jamais qu’une interminable répétition. Pas bon, ça. Sans plaisir, ça ne peut pas fonctionner. Mieux vaut aller creuser dans un autre gisement, là où le filon de talent sera plus riche et le quotient de plaisir plus élevé.
Le talent enlève tout son sens aux notions d’exercice et de répétition ; quand vous trouvez un domaine, quel qu’il soit, dans lequel vous avez du talent, vous vous y livrez jusqu’à ce que vos doigts saignent ou que les yeux vous sortent de la tête. Même sans témoin, chaque incursion que vous y faites est un exercice de bravoure, car en tant que créateur vous êtes heureux.
Si je n’écris pas tous les jours, les personnages commencent à se rassir dans mon esprit : ils se mettent à avoir l’air de personnages et non plus de vraies personnes.
Si je n’écris pas tous les jours, les personnages commencent à se rassir dans mon esprit : ils se mettent à avoir l’air de personnages et non plus de vraies personnes. Le tranchant narratif se rouille, je perds peu à peu mon emprise sur l’intrigue et le rythme de l’histoire.
Et quand je ne travaille pas, je ne travaille pas du tout, bien que, pendant ces périodes d’arrêt total, je me sente en général désagréablement désœuvré et aie du mal à dormir. Ne pas travailler est pour moi le véritable travail. Quand j’écris, c’est la cour de récré ; et les trois heures les pires que j’y ai jamais passées restent, malgré tout, de sacrément bonnes heures.
Je considère néanmoins que le premier jet d’un livre, même long, ne devrait pas prendre plus de trois mois,
J’aime bien rédiger dix pages par jour, ce qui équivaut à deux mille mots, soit cent quatre-vingt mille sur une période de trois mois ; cela correspond à une bonne longueur, donne un livre dans lequel le lecteur peut joyeusement s’aventurer, si l’histoire est bien conçue et ne perd pas sa fraîcheur.
Ce qui favorise le plus une production régulière (trollopienne ?) c’est une atmosphère de travail sereine. Il est difficile, même pour l’écrivain le plus naturellement prolixe, d’écrire dans un environnement où il est sans arrêt dérangé ou troublé. Lorsqu’on me demande quel est « le secret de mon succès », question absurde à laquelle il est cependant impossible d’échapper, je réponds parfois qu’il y en a deux : le fait que j’ai toujours été en bonne santé (jusqu’au jour où un van m’a renversé sur le bord de la route, pendant l’été 1999) et le fait que je sois resté marié. C’est une bonne réponse parce qu’elle vous débarrasse de la question, mais aussi parce qu’elle comporte une part de vérité. La combinaison d’un organisme en bonne santé et d’une relation stable avec une femme autonome, qui ne me passe aucune connerie (et n’en passe à personne), est ce qui a rendu possible un travail régulier et continu dans ma vie d’écrivain. Je crois que l’inverse est également vrai : que le fait d’écrire et le plaisir que j’y prends ont contribué à me maintenir en bonne santé et à la stabilité de mon foyer.
On peut lire partout ou presque, mais lorsqu’il s’agit d’écrire, les bibliothèques, les bancs de parc et les appartements de location devraient être des solutions de dernier recours. Truman Capote affirmait qu’il n’écrivait jamais aussi bien que dans les chambres de motel, mais c’est une exception ; pour la plupart, nous écrivons mieux dans un lieu qui est le nôtre. Tant que vous n’en aurez pas un, vous trouverez beaucoup plus ardue votre résolution toute neuve d’écrire.
La porte fermée est le moyen de dire au monde comme à vous-même que vous ne plaisantez pas ; que vous êtes sérieusement décidé à écrire, que vous avez l’intention d’aller jusqu’au bout et de faire tout ce qu’il faudra pour ça.
Au moment où vous vous installez pour la première fois dans la pièce qui sera réservée à votre travail d’écrivain, vous devrez vous être fixé un objectif quotidien. Comme pour un exercice physique, il vaut mieux commencer par ne pas mettre la barre trop haut, pour ne pas se décourager. Je vous suggère mille mots par jour et, comme je suis magnanime, je vous accorde aussi un jour « sans » par semaine, du moins au début. Cet objectif fixé, ne rouvrez la porte que lorsqu’il est atteint.
Qu’il s’agisse d’un texte d’une page ou d’une trilogie épique comme Le Seigneur des anneaux, le travail a toujours été fait un mot après l’autre.
Si c’est possible, il vaudrait mieux qu’il n’y ait pas de téléphone dans votre pièce de travail ; en tout cas, pas de télé ou de jeux vidéo pour vous distraire. S’il y a une fenêtre, tirez le rideau ou baissez les stores pour que tout prenne la neutralité d’un mur.
Si vous êtes un fan de polars, vous aurez envie d’écrire des polars, et si ce sont les romans d’amour qui vous font chavirer, il sera naturel pour vous de vouloir en écrire. Il n’y a rien à reprocher à cette réaction. Ce qui serait, en revanche, tout à fait critiquable, à mon avis, serait de vous détourner de ce que vous connaissez et qui vous plaît (ou que vous aimez, comme j’aimais mes vieilles bandes dessinées et ces nanars d’horreur en noir et blanc) pour vous attaquer à un autre genre dans le seul but d’impressionner vos amis, vos parents ou les collègues de votre cercle littéraire. De même, ce serait une erreur de s’intéresser à un genre ou à une catégorie particulière de la science-fiction dans le seul but de gagner de l’argent. C’est moralement douteux : le boulot de toute fiction est de trouver la vérité au cœur des réseaux et des mensonges de l’histoire, non de commettre une malhonnêteté intellectuelle pour se faire du fric. Sans compter, chers frères et sœurs, que ça ne marche pas.
L’imitation stylistique est une chose, une manière parfaitement honorable de commencer sa carrière d’écrivain, une étape qu’il est tout à fait impossible d’éviter ; toutes les étapes ultérieures seront d’ailleurs plus ou moins placées sous le signe d’une imitation ou d’une autre. Mais, malgré tout, on ne peut pas imiter la manière dont un auteur approche un genre particulier, aussi simple que soit en apparence cette manière. En d’autres termes, on ne peut téléguider un livre comme un missile de croisière. Ceux qui s’imaginent faire fortune en écrivant comme John Grisham ou Tom Clancy ne produisent en général que de pâles imitations car posséder le vocabulaire ne suffit pas à faire sentir les choses et parce que leur intrigue est à des années-lumière de la vérité, telle que celle-ci est comprise par l’esprit et le cœur. Quand vous voyez un roman avec un bandeau sur lequel on lit « dans la lignée de John Grisham – ou Patricia Cornwell, ou Mary Higgins Clark, ou Dean Koontz », vous savez que c’est à une de ces imitations, fruit de ces peu reluisants calculs et en général barbante, que vous avez affaire.
Écrivez ce que vous avez envie d’écrire, insufflez-y de la vie et rendez votre texte unique en y mêlant ce que vous savez de l’existence, de l’amitié, des relations humaines, du sexe, du travail. En particulier du travail. Les gens adorent qu’on leur parle du travail. Dieu sait pourquoi, mais c’est un fait. Si vous êtes plombier et si vous aimez la science-fiction, pourquoi ne pas écrire l’histoire d’un plombier à bord d’un vaisseau spatial ou sur une autre planète ? Si vous trouvez ça ridicule, pensez à feu Clifford D. Simak et à son roman Ingénieurs cosmiques, qui n’en est pas si loin que ça. C’est un bouquin sensationnel. La seule chose à ne pas oublier, c’est qu’il faut se garder de faire un cours sur ce qu’on sait, qu’il faut ne l’utiliser que pour enrichir son histoire.
L’histoire qu’il raconte a toutes les apparences de l’authenticité parce qu’elle est solidement ancrée dans une réalité qu’il connaît, dont il a une expérience personnelle et qu’il décrit avec une totale (et presque naïve) honnêteté. Le résultat est un livre qui, en dépit de personnages simplistes (on peut à la rigueur discuter de ça), est à la fois courageux et extraordinairement gratifiant. En tant qu’écrivain débutant vous feriez bien non pas d’imiter le genre avocat-dans-le-pétrin que Grisham semble avoir créé, mais son ouverture d’esprit et sa capacité à ne rien faire d’autre que d’aller droit au but.
De mon point de vue, un roman, une histoire, comporte trois éléments : la narration, qui fait avancer le récit du point A au point B, et finalement jusqu’au point Z ; la description, chargée de créer une réalité sensorielle pour le lecteur ; et les dialogues, qui donnent vie aux personnages à travers leurs échanges verbaux. Vous vous demandez peut-être où je mets l’intrigue, dans tout ça. La réponse – la mienne, en tout cas – est : nulle part. Je n’essaierai pas de vous convaincre que je n’ai jamais bâti d’intrigue, pas plus que je n’essaierai de vous convaincre que je n’ai jamais menti, mais j’évite le plus possible de faire l’un comme l’autre. Je me méfie des intrigues pour deux raisons : d’abord parce que nos vies en sont essentiellement dépourvues, en dépit de toutes les précautions raisonnables que nous pouvons prendre, de la minutie avec laquelle nous dressons nos plans ; ensuite parce que je considère qu’il y a incompatibilité entre la construction d’une intrigue et la spontanéité de la véritable création. C’est un point sur lequel je dois être clair : je désire que vous compreniez que ma conviction la plus profonde, quant à l’invention des histoires, est qu’elles se fabriquent en grande partie d’elles-mêmes. Le boulot de l’écrivain consiste à leur donner un lieu où s’épanouir
Pour en récupérer le maximum, la pelle doit laisser la place à des outils plus délicats : jet d’air, grattoir, voire, au besoin, brosse à dents. L’intrigue est un instrument bien plus gros ; c’est le marteau-piqueur de l’écrivain. On peut certes extraire un fossile d’un sol dur au marteau-piqueur, je suis bien d’accord, mais vous savez aussi bien que moi que cet engin va casser presque autant de restes qu’il permettra d’en libérer. Méthode grossière, mécanique, anti-créatrice. Je crois que l’intrigue est le recours ultime de l’écrivain, alors que le crétin se jette dessus. L’histoire qui en résulte a toutes les chances d’être artificielle et laborieuse.
Je m’appuie bien plus sur l’intuition, et cela parce que mes livres ont tendance à se fonder sur une situation plutôt que sur une histoire. Certaines des idées qui ont engendré ces livres sont plus complexes que d’autres, mais, dans leur majorité, elles ont au départ la brutale simplicité d’une vitrine de grand magasin ou d’un tableau de cire. Je place un groupe de personnages (ou peut-être seulement deux, voire un) dans une situation plus ou moins désagréable et j’observe comment ils font pour s’en sortir. Mon job ne consiste pas à les aider, ou à les manipuler jusqu’à ce qu’ils soient en sécurité – ça, c’est la bruyante méthode de l’intrigue au marteau-piqueur – mais de regarder ce qui se passe et de l’écrire. La situation vient en premier. Les personnages qui, au début, sont toujours sans relief et sans traits définis, viennent ensuite. Une fois que j’ai ces éléments bien en tête, j’entame la narration. J’ai parfois ma petite idée sur la manière dont tout se terminera, mais je n’ai jamais exigé d’un ensemble de personnages qu’ils se conforment à mes directives ; je veux au contraire qu’ils fassent les choses à leur façon. Dans certains cas, l’issue est celle que j’avais anticipée. Dans la plupart, cependant, c’est quelque chose que je n’avais pas du tout prévu. Pour un écrivain de suspense, c’est fondamental. Parce que, du coup, je ne suis pas seulement le créateur du roman, mais aussi son premier lecteur. Et si moi je ne suis pas capable de deviner, même approximativement, comment toute cette foutue affaire va se terminer, avec en plus la connaissance que j’ai déjà des événements à venir, cela veut dire que je peux être tranquille sur un point : le lecteur se trouvera dans cet état d’anxiété qui l’oblige à tourner la page. Et pourquoi s’en faire pour la fin, d’ailleurs ? Pourquoi vouloir tout contrôler. Pourquoi se montrer obsessionnel ? Tôt ou tard, une histoire doit bien aboutir quelque part.
Une situation suffisamment forte rend toute la question de l’intrigue caduque, ce qui me va très bien. Les situations les plus intéressantes peuvent en général se présenter sous la forme d’une question : et si jamais ? Et si jamais des vampires envahissaient une petite ville de Nouvelle-Angleterre ? (Salem.)
si, bien sûr, vous êtes honnête dans la façon de faire parler et se comporter vos personnages. L’honnêteté, quand on raconte une histoire, compense bien des fautes de style,
Les descriptions sont ce qui font du lecteur un participant sensoriel à l’histoire. Bien décrire est un savoir-faire qui s’apprend et ceci est l’une des premières raisons pour lesquelles on ne peut réussir sans avoir beaucoup lu et écrit. Ce n’est d’ailleurs pas seulement une question de savoir-faire, mais aussi de savoir comment ne pas trop en faire. Lire vous apprendra comment ne pas trop en faire, écrire, comment faire. On ne peut apprendre que par la pratique.
Pour décrire, il faut commencer par visualiser ce que vous voudriez que le lecteur se représente. Cela se termine par des mots, sur le papier, censés restituer ce que vous voyez en esprit.
Il est aussi important de déterminer ce qu’il faut décrire que ce qu’il vaut mieux laisser dans l’ombre, pour ne jamais perdre de vue que votre boulot principal est de raconter une histoire.
Si je vous dis que Carrie White est une lycéenne rejetée par les autres, au teint maladif, dont la garde-robe est celle d’une fashion victim, je pense que vous êtes capable de compléter le tableau, non ? Pas besoin de vous la décrire jusqu’à son dernier bouton d’acné, jusqu’à sa dernière jupe. Nous avons tous le souvenir, après tout, d’une camarade de classe (ou de deux) mal barrée dans la vie ; si je décris la mienne, elle transforme la vôtre en statue de sel et le lien de compréhension que je cherche à instituer entre nous se relâche un peu. Une description commence dans l’imagination de l’écrivain et doit s’achever dans celle du lecteur.
J’estime que le contexte et la texture sont bien plus importants, pour ce qui est de donner au lecteur le sentiment d’être dans l’histoire, que n’importe quelle description physique des acteurs. Je ne crois pas non plus que la description physique soit un raccourci pour rendre compte de la personnalité des personnages. Alors épargnez-moi, s’il vous plaît, les yeux bleus pétillant d’intelligence de votre héros, ou son menton carré et volontaire ; de même, les sourcils arrogants de l’héroïne. Techniquement mauvaise, cette façon de faire trahit la flemme d’écrire – elle est l’équivalent de ces casse-pieds d’adverbes.
À mes yeux, une bonne description consiste en général à donner quelques détails bien choisis qui se chargeront de tout. Dans la plupart des cas, ce seront les premiers qui vous viendront à l’esprit.
L’un de mes restaurants préférés à New York est le Palm Too, sur la Seconde Avenue. Si je décide de situer une scène au Palm Too, je saurai forcément de quoi je parle, ayant eu l’occasion d’y manger à plusieurs occasions. Avant de me mettre à écrire, je vais évoquer une image des lieux en m’appuyant sur mes souvenirs ; j’en remplis mon imagination, sachant que mon œil intérieur devient d’autant plus précis que je l’utilise souvent. Je parle d’œil intérieur parce que c’est une image que nous connaissons tous, mais c’est en réalité tous mes sens que je mets en branle. Ces fouilles dans ma mémoire seront brèves mais intenses, une évocation quasi hypnotique. Et, comme pour la véritable hypnose, vous découvrirez que plus vous vous y essaierez, plus il vous sera facile d’y parvenir. Les quatre premières choses qui me viennent à l’esprit lorsque j’évoque le Palm Too sont (a) la couleur sombre du bar, qui contraste avec la luminosité du miroir qui en tapisse le fond, reflétant la lumière de la rue ; (b) la sciure de bois sur le sol ; (c) les dessins sur les murs (des caricatures grotesques) ; et (d) les odeurs de viande et de poissons grillés. Si je poursuis mon évocation, je découvre encore un certain nombre de choses et je pourrais toujours inventer ce dont je ne me souviens pas (pendant la visualisation, réalité et invention s’entremêlent), mais je n’ai pas besoin de davantage d’éléments.
qu’il est tout aussi facile de sur-décrire que de sous-décrire. Sinon plus facile.
Il est aussi important de se rappeler que ce qui compte n’est pas le cadre, mais l’histoire, et toujours l’histoire.
Dans beaucoup de cas, lorsqu’un lecteur abandonne un livre qu’il trouve « ennuyeux », cet ennui vient de ce que l’écrivain se trouve tellement séduit lui-même par ses capacités descriptives qu’il en perd de vue sa priorité, laquelle est que son histoire doit toujours avancer.
On trouve une description simple (il y avait quelques buveurs solitaires au bar), et une autre nettement plus poétique (Le miroir, derrière le bar… brillait comme un mirage dans la pénombre) dans le paragraphe descriptif central du Palm Too. Les deux vont très bien, mais j’ai un faible pour les comparaisons et toutes les formes de langage figuratif qu’offre la fiction, car elles en constituent le principal délice, pour le lecteur comme pour l’écrivain. Bien ciblée, une comparaison nous ravit autant que de rencontrer un vieil ami au milieu d’une foule d’inconnus. En mettant en relation deux objets à première vue sans rapport, ici un bar et une caverne, un miroir et un mirage, nous parvenons à voir d’anciennes choses d’un œil neuf
J’ai déjà gaspillé trop d’encre pour faire comprendre que le Palm Too va devenir l’un des cadres importants où se déroulera mon histoire. Si jamais, en fin de compte, ce n’est pas le cas, je serai bien inspiré de revoir ma description et de la réduire à quelques lignes.
La comparaison zen n’est que l’un des pièges potentiels du langage au figuré. Le plus courant (le manque de culture littéraire est d’ailleurs à peu près toujours à l’origine de ce qui nous y fait chuter) est l’utilisation de comparaisons, métaphores et images qui sont devenues des clichés. Il courait comme un fou, elle était jolie comme un cœur, il s’est battu comme un lion… ne me faites pas perdre mon temps (et ne perdez pas le vôtre) avec des poncifs aussi éculés.
Le secret de la bonne comparaison commence avec une vue claire des choses et finit par un texte clair qui utilise des images nouvelles et un vocabulaire simple.
Pratiquez, exercez-vous, n’oubliez jamais que votre boulot consiste à dire ce que vous voyez et à faire avancer votre histoire.
seul le comportement des gens nous en apprend davantage sur ce qu’ils sont. Ce qu’ils disent est en effet trompeur, car les propos qu’ils tiennent expriment leur caractère d’une manière dont les locuteurs sont tout à fait inconscients. Vous pouvez m’expliquer, via la narration, que votre personnage principal – disons Mitsuh Butts – n’a pas été un bon élève et même n’a pas beaucoup fréquenté l’école ; vous pouvez cependant aussi me le faire comprendre, et de manière beaucoup plus vivante, par la manière dont il s’exprime… et l’une des règles d’or de la bonne fiction est de ne jamais expliquer quelque chose que l’on peut montrer. Exemple : « Qu’est-ce que tu vois, là ? » demanda le garçon, qui traçait quelque chose dans la terre avec le bout de son bâton. Il aurait pu tout aussi bien s’agir d’une boule, d’une planète ou simplement d’un cercle. « Tu sais que la terre tourne autour du soleil, comme ils disent ? – Ch’ai pas c’qui disent, répliqua Mitsuh. J’ai jamais étudié c’que dit Machin ou Truc, pass’que chacun il dit un truc différent, pis finalement t’as mal à la tête, pis tu perds l’apémite. – C’est quoi, l’apémite ? – T’as jamais fini avec tes questions ? » s’écria Mitsuh. Il s’empara du bâton et le cassa. « L’apémite, c’est quand dans ton ventre, il te dit que c’est l’heure pour manger ! Sauf quand t’es malade ! Et les gens qui disent que je suis ignorant ! – Ah, l’appétit », observa le garçon d’un ton placide en se remettant à dessiner, du bout du doigt cette fois.
seul le comportement des gens nous en apprend davantage sur ce qu’ils sont. Ce qu’ils disent est en effet trompeur, car les propos qu’ils tiennent expriment leur caractère d’une manière dont les locuteurs sont tout à fait inconscients. Vous pouvez m’expliquer, via la narration, que votre personnage principal – disons Mitsuh Butts – n’a pas été un bon élève et même n’a pas beaucoup fréquenté l’école ; vous pouvez cependant aussi me le faire comprendre, et de manière beaucoup plus vivante, par la manière dont il s’exprime… et l’une des règles d’or de la bonne fiction est de ne jamais expliquer quelque chose que l’on peut montrer.
La meilleure façon de s’initier au dialogue est encore d’avoir plaisir à parler soi-même et à écouter les autres – surtout à écouter, en prêtant attention aux accents, aux rythmes, aux dialectes, à l’argot des différents groupes sociaux. Les solitaires comme Lovecraft s’en sortent
Comme dans tous les autres aspects de la fiction, le secret des bons dialogues réside dans l’honnêteté. Si vous êtes honnête quant aux mots que vous faites sortir de la bouche de vos personnages, vous découvrirez que vous vous exposez aussi à pas mal de critiques. Pas une semaine ne passe sans que je reçoive au moins une lettre furibarde (et la plupart du temps, plusieurs) m’accusant d’être grossier, bigot, homophobe, assassin, frivole ou carrément psychotique. Dans la plupart des cas, ce qui a échauffé la bile de mes correspondants figure quelque part dans un dialogue : « Tirons-nous de ce putain de bled », ou : « On n’encaisse pas trop les nègres, dans le coin », ou encore : « Où tu te crois, sale con de pédé ? »
En fin de compte, la bonne question à se poser n’est pas de savoir si les dialogues, dans votre histoire, emploient une langue recherchée ou vulgaire ; elle est de savoir s’ils sonnent juste à la lecture et à l’oreille. Et si c’est ce que vous voulez, vous devez vous-même parler. Plus important, vous devez la fermer et écouter les autres.
Tout ce que j’ai expliqué à propos des dialogues s’applique aussi à l’élaboration des personnages. Le boulot se résume à deux choses : faire attention à la manière dont les gens réels se comportent autour de vous, puis dire la vérité sur ce que vous avez vu.
Les personnages de fiction sont-ils des copies conformes de personnages existants ? Non, bien sûr, ou du moins pas sur cette base-là ; et il ne vaut mieux pas, à moins que vous n’ayez envie d’avoir un procès sur les bras ou de recevoir un coup de fusil, un beau matin, lorsque vous irez relever votre courrier.
Pour moi, ce qui arrive aux personnages au fur et à mesure que progresse une histoire dépend seulement de ce que je découvre sur eux tandis que j’avance : autrement dit, de la manière dont ils se développent.
Il est aussi important de se rappeler que personne n’est le « méchant » ou le « meilleur ami » ou encore la « pute au grand cœur », dans la vie réelle ; dans la vie réelle, nous nous considérons tous comme le personnage principal, le protagoniste alpha, l’incontournable ; c’est sur nous que sont braqués les projecteurs. Si vous êtes capable d’adapter cette attitude à vos œuvres de fiction, vous ne trouverez peut-être pas plus facile de créer des personnages remarquables, mais vous aurez moins tendance à engendrer les nullités unidimensionnelles qui peuplent tant d’ouvrages de fiction populaire.
Annie Wilkes, l’infirmière qui retient Paul Sheldon prisonnier dans Misery, peut nous paraître psychotique, mais il ne faut pas oublier qu’elle se considère comme étant tout à fait normale et saine d’esprit – héroïque, en fait, une femme assiégée essayant de survivre dans un monde peuplé de bons à rien. Nous la voyons avec inquiétude changer d’humeur, mais je me suis efforcé de ne jamais le dire tout de go dans des phrases comme : « Annie paraissait déprimée et peut-être même suicidaire, ce jour-là », ou : « Annie paraissait particulièrement de bonne humeur. » Si je suis obligé de vous le dire, j’ai perdu. Si, en revanche, je suis capable de vous montrer une femme silencieuse, aux cheveux sales, qui se bourre compulsivement de gâteaux et de bonbons, c’est vous qui en tirez la conclusion qu’Annie est dans un moment dépressif du cycle maniaco-dépressif, et j’ai gagné. Et si je parviens, même de façon fugace, à vous faire voir le monde par les yeux d’Annie Wilkes, autrement dit à vous faire comprendre sa folie, il se peut alors que vous sympathisiez avec elle ou même que vous vous identifiiez à elle. Le résultat ? Elle n’en est que plus terrifiante, parce que plus proche de la réalité.
Je tenais à faire savoir ce que ce personnage avait de dangereux et d’ambivalent dès la première scène du livre. Dans celle-ci, qui se situe plusieurs années avant qu’il se présente à une élection législative du New Hampshire, Stillson est un jeune voyageur de commerce vendant ses bibles aux campagnards du Midwest. Il arrive dans une ferme où il a affaire à un chien menaçant. Stillson garde le sourire et reste amical, très cul-bénit, jusqu’au moment où il est sûr qu’il n’y a personne à la ferme. Sur quoi, il balance du gaz lacrymogène dans les yeux du chien et le tue à coups de pied. Si l’on mesure le succès aux réactions des lecteurs, la scène qui ouvre Dead Zone : L’accident (mon premier best-seller à avoir été numéro un), est celle qui a fait le plus grand tabac.
Le caractère de mes protagonistes a été déterminé par l’histoire que je voulais raconter, en d’autres termes, par le fossile, l’objet trouvé. Mon boulot (et le vôtre, si vous estimez que c’est une approche viable, pour raconter une histoire) est de faire en sorte que ces personnages de fiction se comportent d’une manière qui contribue à faire avancer l’histoire et nous paraisse en même temps raisonnable, en fonction de ce que nous savons d’eux (et de ce que nous savons de la vie réelle, bien entendu). Certains méchants ressentent des doutes (comme Greg Stillson) ; ils éprouvent parfois de la pitié (comme Annie Wilkes).
Nous avons passé en revue quelques aspects fondamentaux sur l’art d’écrire des histoires qui tous renvoient aux deux mêmes idées principales : s’entraîner est le maître mot (et devrait être non pas vécu comme une corvée mais un plaisir), l’honnêteté est indispensable. Une bonne technique dans la description, dans les dialogues et dans le développement des personnages revient en fin de compte à voir et écouter avec acuité, puis à transcrire ce que vous avez vu et entendu avec tout autant d’acuité (et en évitant de trop utiliser ces adverbes inutiles et pesants).
Le symbolisme (comme les autres ornements) est cependant utile – il n’est pas qu’un simple maquillage. Il peut servir de catalyseur entre vous et votre lecteur, aider à créer un texte plus unifié, plus agréable. Je crois que, lorsqu’on relit son manuscrit (lorsqu’on le relit à voix haute), on voit s’il comporte des aspects symboliques ou un potentiel symbolique. Dans le cas contraire, on laisse les choses en l’état. Mais sinon, s’il fait manifestement partie du fossile que l’on s’efforce d’exhumer, il faut y aller. Le mettre en valeur. Ce serait trop bête de ne pas en profiter.
Lorsqu’on écrit, on passe son temps, jour après jour, à faire le tour des arbres et à les identifier. Ce travail achevé, on doit prendre du recul et regarder la forêt. Tous les textes n’ont pas besoin de leur charge de symbolisme, d’ironie ou de langage musical (ce n’est pas par hasard qu’on parle de prose, n’est-ce pas ?), mais il me semble que tous les textes – ou au moins ceux qui méritent d’être lus – nous parlent de quelque chose. Votre boulot, pendant la rédaction de la première version ou tout de suite après, est de décider ce qu’est ce quelque chose (ou ce que sont ces quelque chose). Dans la deuxième mouture, votre tâche est, entre autres, de rendre ce quelque chose encore plus clair. Ce qui peut exiger des changements importants et des révisions. Votre lecteur et vous y gagnerez un texte plus nettement centré et une histoire plus unifiée. Il est rare que ça ne marche pas.
L’ennui peut être excellent, pour un créateur dans l’impasse.
À un moment donné, rien de cela n’existait ; au suivant, tout était là. S’il y a une chose qui me plaît plus que tout le reste, dans mon métier d’écrivain, c’est bien ces éclairs de révélation dans lesquels on voit tout se connecter. J’en ai entendu parler de diverses manières, en particulier comme d’une façon de penser qui serait au-delà de la logique ou « superlogique » ; c’est bien de cela qu’il s’agit, si l’on veut, mais peu importe comment on la décrit.
J’ai été stupéfait de découvrir à quel point la « pensée thématique » pouvait être utile. Ce n’était pas une quelconque idée vaporeuse sur laquelle votre prof de lettres vous ferait méditer pour un examen sur table (« repérez les grands thèmes chers à Flannery O’Connor, l’auteur de La Sagesse dans le sang »), mais un autre gadget bien pratique de la boîte à outils et ayant un effet de loupe. Depuis ma révélation, au cours d’une promenade, sur la bombe dans le placard, je n’ai jamais hésité à me demander, soit en entamant la deuxième mouture d’un livre, soit quand j’étais coincé à la recherche d’une idée pendant la première, sur quoi j’écrivais, et pour quelle raison je passais autant de temps à l’écrire, alors que j’aurais pu jouer de la guitare ou aller faire un tour en moto. Qu’est-ce qui me tenait attaché à ma meule ? La réponse ne vient pas tout de suite, mais il y en a en général une, et il est en général assez facile de trouver laquelle. Je ne crois pas qu’un romancier, eût-il écrit plus de quarante bouquins, ait beaucoup de thèmes de prédilection ; beaucoup de choses m’intéressent, mais seulement quelques-unes me mobilisent assez pour alimenter des romans. Ces intérêts les plus profonds (on ne peut pas les appeler tout à fait des obsessions) comptent parmi eux la difficulté (sinon l’impossibilité !) de refermer la techno-boîte de Pandore une fois qu’on l’a ouverte (Le Fléau, Les Tommyknockers, Charlie) ; la question de savoir pourquoi, si Dieu existe, des choses aussi effroyables se produisent (Le Fléau, Désolation, La Ligne verte) ; la fragile frontière qui sépare réalité et imaginaire (La Part des ténèbres, Sac d’os) ; et, plus que tout, la terrible séduction que la violence exerce sur des gens foncièrement bons (Shining, La Part des ténèbres). J’ai aussi écrit beaucoup sur les différences essentielles entre adultes et enfants et sur le pouvoir thérapeutique de l’imagination. Et je le répète : ce n’est pas une grande affaire. Ce sont juste des centres d’intérêt nés de ma vie et de mes réflexions, de mon expérience comme enfant puis comme homme, de mes rôles comme mari, père, écrivain, amant. Ce sont les questions qui me trottent dans la tête lorsque j’éteins pour la nuit et que je me retrouve seul avec moi-même, sondant l’obscurité, une main passée sous l’oreiller.
Je dois clore ce petit sermon par un mot de mise en garde : se lancer dans l’écriture en partant de grandes questions et de problèmes thématiques est la meilleure recette pour faire de la mauvaise fiction. La bonne fiction part toujours d’une histoire et progresse vers son thème ; elle ne part presque jamais du thème pour aboutir à l’histoire.
Une fois que votre histoire est couchée sur le papier, cependant, vous vous devez de réfléchir à ce qu’elle signifie et d’enrichir vos moutures suivantes de vos conclusions. Ne pas le faire serait priver votre œuvre (et en fin de compte vos lecteurs) de la vision qui fait que chaque histoire que vous écrivez est la vôtre et uniquement la vôtre.
je vous invite à employer la méthode en deux étapes, avec une première mouture derrière la porte close de votre bureau, une deuxième porte ouverte.
La porte fermée, jetant directement sur la page ce que j’ai dans la tête, j’écris aussi vite que je peux tout en restant à l’aise.
Il peut arriver que vous ayez envie de montrer où vous en êtes à un ami cher (l’ami cher en question étant souvent celui ou celle qui partage votre lit), soit parce que vous êtes content de ce que vous avez fait, soit parce qu’au contraire vous éprouvez des doutes. Mon conseil est de résister à cette tentation. Gardez la pression, ne la faites pas baisser en exposant ce que vous écrivez aux doutes, aux louanges ou même aux questions bien intentionnées de quelqu’un du Monde Extérieur.
Asseyez-vous, porte fermée (vous aurez bien assez tôt l’occasion de la rouvrir), un crayon à la main, un bloc de papier brouillon à côté de vous. Et relisez votre manuscrit. Faites-le d’une traite, si c’est possible (si c’est un pavé de plus de quatre cents pages, ça ne l’est évidemment pas). Prenez toutes les notes que vous voulez, mais concentrez-vous sur les basses besognes comme corriger l’orthographe et relever les incohérences. Elles ne manqueront pas, croyez-moi ; seul Dieu a réussi du premier coup, et seul un je-m’en-foutiste dira : « Je laisse tomber, il faut bien que les correcteurs gagnent leur vie. »
Dans mon cas, les erreurs les plus flagrantes que je trouve, à la relecture, ont trait à la motivation des personnages (ce n’est pas sans rapport avec l’élaboration des personnages, sans être tout à fait la même chose). Je me frappe le crâne du plat de la main, prends mon bloc de papier brouillon et écris un truc du genre : p. 91 : Sandy Hunter barbote un dollar dans le sac de Shirley, au bureau. Pourquoi ? Voyons, jamais Sandy ne ferait une chose pareille ! Je marque aussi la page d’un grand symbole typo signifiant que des coupures et/ou des changements sont indispensables sur cette page, me rappelant ainsi de consulter mes notes pour les détails exacts, si je ne m’en souviens pas.
Certains vous diront que tel personnage est réussi, mais que tel autre est tiré par les cheveux ; si quelqu’un d’autre vous affirme exactement le contraire, pas de problème. Vous pouvez vous détendre et laisser les choses en l’état (la règle du pat donne l’avantage à l’auteur). Si certains aiment la fin et d’autres la détestent, même chose ; ils sont pat, avantage à l’auteur.
Comme je l’ai dit, il est un peu plus délicat de traiter les évaluations subjectives, mais écoutez bien ceci : si tous vos premiers lecteurs vous disent qu’il y a un problème (Connie revient trop facilement chez son mari, le fait que Hal triche à l’examen semble irréaliste, compte tenu de ce que nous savons par ailleurs de lui, la conclusion du roman est trop abrupte et arbitraire), c’est que problème il y a, et que vous seriez bien inspiré de vous en occuper.
Vous vous surprendrez à donner un certain tour à votre histoire avant même que le Lecteur Idéal en ait lu la première phrase. Le L.I. sera celui qui vous aidera à sortir un peu de vous-même, à lire, avec l’œil de vos lecteurs, ce que vous écrivez au fur et à mesure que vous l’écrivez. C’est peut-être la manière la plus sûre de faire que vous vous accrochiez à l’histoire, une manière de jouer devant un public alors qu’il n’y a pas de public et que vous êtes responsable de tout.
Relisez-vous pour resserrer. La formule : version 2 = version 1 – 10 %.
Le contexte rassemble tous les événements qui se produisent avant que ne commence l’histoire et qui ont un impact sur son déroulement. Le contexte contribue à définir les personnages, à étayer les motivations.
exemple de ce qu’il ne faut pas faire, voici un fragment de dialogue : « Salut, mon ex », dit Tom à Doris quand elle entra dans la pièce. Certes, il peut être important pour le récit que nous sachions d’emblée que Tom et Doris sont divorcés, mais il doit y avoir une manière plus subtile de l’indiquer. On pourrait écrire : « Salut, Doris », dit Tom d’un ton qui, au moins à ses oreilles, paraissait naturel. Mais ses doigts ne purent s’empêcher d’aller tâter l’annulaire où se trouvait encore son alliance six mois auparavant.
Ce qu’il faut avant tout se rappeler à propos du contexte peut se résumer ainsi : (a) tout le monde a une histoire, et (b) elle est pour l’essentiel sans intérêt. Tenez-vous-en aux parties intéressantes, ne vous laissez pas entraîner par le reste.
Il faut à présent aborder la question des recherches, qui ne sont qu’une forme particulière du travail sur le contexte. Et si vous devez absolument faire des recherches parce que votre histoire met en scène des choses sur lesquelles vous ne savez rien ou que peu de choses, je vous en prie, n’oubliez pas que le maître mot est contexte. Le contexte n’est pas le texte. C’est dans le contexte que doivent rester vos recherches. Soyez subjugué si vous voulez par tout ce que vous apprendrez sur les bactéries mangeuses de chair, ou sur les égouts de New York, ou sur le QI potentiel des chiots de race colley, mais ce qui intéresse vos lecteurs, eux, c’est avant tout les personnages et l’histoire.
Dans de tels moments, je suis bien tranquille que tous les écrivains ressentent la même chose, quel que soit leur talent ou leur succès : Mon Dieu, si seulement j’avais le bon environnement, avec des gens qui me comprendraient vraiment, je suis certain que je pourrais pondre mon chef-d’œuvre. La vérité m’oblige à le dire : j’ai constaté que ces interruptions et distractions ne sont guère dommageables pour une œuvre en cours, et peuvent même parfois s’avérer utiles. Après tout, c’est le petit débris entré dans la coquille de l’huître qui est à l’origine de la perle, pas des séminaires de « perlologie » avec d’autres huîtres.