La_vérité_sur_l'affaire_Harry_Quebert_(Joël_Dicker)

je compris que pour être formidable il suffisait de biaiser les rapports aux autres ; tout n’était finalement qu’une question de faux-semblants.

“J’aimerais vous apprendre l’écriture, Marcus, non pas pour que vous sachiez écrire, mais pour que vous deveniez écrivain. Parce qu’écrire des livres, ce n’est pas rien : tout le monde sait écrire, mais tout le monde n’est pas écrivain. — Et comment sait-on que l’on est écrivain, Harry ? — Personne ne sait qu’il est écrivain. Ce sont les autres qui le lui disent.”

vous ne travaillez pas assez. Vous vous contentez de très peu, vous alignez les mots sans bien les choisir et ça se ressent.

« Un texte n’est jamais bon, me disait-il. Il y a simplement un moment où il est moins mauvais qu’avant. »

Vous ne devez pas pour autant avoir peur de tomber,

La pluie n’a jamais tué personne. Si vous n’avez pas le courage d’aller courir sous la pluie, vous n’aurez pas le courage d’écrire un livre.

— Comment écrit-on ? — C’est quelque chose qui vient comme ça. Des idées qui tourbillonnent dans votre tête jusqu’à devenir des phrases qui jaillissent sur le papier.

“Au fond, Harry, comment devient-on écrivain ? — En ne renonçant jamais. Vous savez, Marcus, la liberté, l’aspiration à la liberté est une guerre en soi. Nous vivons dans une société d’employés de bureau résignés, et il faut, pour se sortir de ce mauvais pas, se battre à la fois contre soi-même et contre le monde entier. La liberté est un combat de chaque instant dont nous n’avons que peu conscience. Je ne me résignerai jamais.”

on a la vie qu’on se choisit,

“Et les personnages ? De qui vous inspirez-vous pour vos personnages ? — De tout le monde. Un ami, la femme de ménage, l’employé au guichet de la banque. Mais attention : ce ne sont pas ces personnes elles-mêmes qui vous inspirent, ce sont leurs actions. Leur façon d’agir vous fait penser à ce que pourrait faire l’un des personnages de votre roman. Les écrivains qui disent qu’ils ne s’inspirent de personne mentent, mais ils ont bien raison de le faire : ils s’épargnent ainsi quantité d’ennuis. — Comment ça ? — Le privilège des écrivains, Marcus, c’est que vous pouvez régler vos comptes avec vos semblables par l’intermédiaire de votre bouquin. La seule règle est de ne pas les citer nommément. Jamais de nom propre : c’est la porte ouverte aux procès et aux tourments. À combien sommes-nous dans la liste ? — 23. — Alors ce sera le 23e, Marcus : n’écrivez que des fictions. Le reste ne vous attirera que des ennuis.”

“ Les écrivains qui passent leur nuit à écrire, sont malades de caféine et fument des cigarettes roulées, sont un mythe, Marcus. Vous devez être discipliné, exactement comme pour les entraînements de boxe. Il y a des horaires à respecter, des exercices à répéter : gardez le rythme, soyez tenace et respectez un ordre impeccable dans vos affaires. Ce sont ces trois Cerbères qui vous protégeront du pire ennemi des écrivains. — Qui est cet ennemi ? — Le délai. Savez-vous ce que signifie un délai ? — Non. — Ça veut dire que votre cervelle, qui est capricieuse par essence, doit produire en un laps temps délimité par un autre. Exactement comme si vous êtes livreur et que votre patron exige de vous que vous soyez à tel endroit à telle heure très précise : vous devez vous débrouiller, et peu importe qu’il y ait du trafic ou que vous soyez victime d’une crevaison. Vous ne pouvez pas être en retard, sinon vous êtes foutu. C’est exactement la même chose avec les délais que vous imposera votre éditeur. Votre éditeur, c’est à la fois votre femme et votre patron : sans lui vous n’êtes rien, mais vous ne pouvez pas vous empêcher de le haïr. Surtout, respectez les délais, Marcus. Mais si vous pouvez vous payer ce luxe, jouez avec. C’est tellement plus amusant.”

— Que la vie n’avait que peu de sens. Et qu’écrire donnait du sens à la vie.

“Harry, combien de temps faut-il pour écrire un livre ? — Ça dépend. — Ça dépend de quoi ? — De tout.”

“Qu’est-ce que vous en pensez ? — C’est pas mal. Mais je crois que vous prêtez trop d’importance aux mots. — Les mots ? Mais c’est important quand on écrit, non ? — Oui et non. Le sens du mot est plus important que le mot en lui-même. — Que voulez-vous dire ? — Eh bien, un mot est un mot et les mots sont à tout le monde. Il vous suffit d’ouvrir un dictionnaire, d’en choisir un. C’est à ce moment-là que ça devient intéressant : serez-vous capable de donner à ce mot un sens bien particulier ? — Comment ça ? — Prenez un mot, et répétez-le dans un de vos livres, à tout bout de champ. Choisissons un mot au hasard : mouette. Les gens se mettront à dire, en parlant de vous : ‘Tu sais bien, Goldman, c’est le type qui parle des mouettes.’ Et puis, il y aura ce moment où, en voyant des mouettes, ces mêmes gens se mettront soudain à penser à vous. Ils regarderont ces petits oiseaux piailleurs et ils se diront : ‘Je me demande ce que Goldman peut bien leur trouver.’ Puis ils assimileront bientôt mouettes et Goldman. Et chaque fois qu’ils verront des mouettes, ils penseront à votre livre et à toute votre œuvre. Ils ne percevront plus ces oiseaux de la même façon. C’est à ce moment-là seulement que vous savez que vous êtes en train d’écrire quelque chose. Les mots sont à tout le monde, jusqu’à ce que vous prouviez que vous êtes capable de vous les approprier. Voilà ce qui définit un écrivain. Et vous verrez, Marcus, certains voudront vous faire croire que le livre est un rapport aux mots, mais c’est faux : il s’agit en fait d’un rapport aux gens.”

Le champagne, c’est juste pour le show. Le show, Goldman, c’est quatre-vingt-dix pour cent de l’intérêt que les gens portent au produit final !

“Vous voyez, Marcus, notre société a été conçue de telle façon qu’il faut sans cesse choisir entre raison et passion. La raison n’a jamais servi personne et la passion est souvent destructrice.

n’écrivez jamais un livre si vous n’en connaissez pas la fin.

“Apprenez à aimer vos échecs, Marcus, car ce sont eux qui vous bâtiront. Ce sont vos échecs qui donneront toute leur saveur à vos victoires.”

Les gants ne servent qu’à ne pas tuer votre adversaire. Vous le sauriez si vous cogniez autre chose que ce sac. — Harry… Selon vous, pourquoi est-ce que je boxe toujours tout seul ? — Demandez-le à vous-même. — Parce que j’ai peur, je crois. J’ai peur de l’échec. — Mais quand vous êtes allé dans cette salle de Lowell, sur mon conseil, et que vous vous êtes fait massacrer par ce grand Noir, qu’avez-vous ressenti ? — De la fierté. Après coup, j’ai ressenti de la fierté. Le lendemain, quand j’ai regardé les bleus sur mon corps, je les ai aimés : je m’étais dépassé, j’avais osé ! J’avais osé me battre ! — Donc vous considérez avoir gagné… — Au fond, oui. Même si, techniquement, j’ai perdu le combat, j’ai l’impression d’avoir gagné ce jour-là. — La réponse est là : peu importe de gagner ou de perdre, Marcus. Ce qui compte, c’est le chemin que vous parcourez entre le gong du premier round et le gong final. Le résultat du match, au fond, n’est qu’une information pour le public. Qui a le droit de dire que vous avez perdu, si vous, vous pensez avoir gagné ? La vie c’est comme une course à pied, Marcus : il y aura toujours des gens qui seront plus rapides ou plus lents que vous. Tout ce qui compte au final, c’est la vigueur que vous avez mise à parcourir votre chemin.

“Harry, comment transmettre des émotions que l’on n’a pas vécues ? — C’est justement votre travail d’écrivain. Écrire, cela signifie que vous êtes capable de ressentir plus fort que les autres et de transmettre ensuite. Écrire, c’est permettre à vos lecteurs de voir ce que parfois ils ne peuvent voir. Si seuls les orphelins racontaient des histoires d’orphelins, on aurait de la peine à s’en sortir. Cela signifierait que vous ne pourriez pas parler de mère, de père, de chien ou de pilote d’avion, ni de la Révolution russe, parce que vous n’êtes ni une mère, ni un père, ni un chien, ni un pilote d’avion et que vous n’avez pas connu la Révolution russe. Vous n’êtes que Marcus Goldman. Et si chaque écrivain ne devait se limiter qu’à lui-même, la littérature serait d’une tristesse épouvantable et perdrait tout son sens. On a le droit de parler de tout, Marcus, de tout ce qui nous touche. Et il n’y a personne qui puisse nous juger pour cela. Nous sommes écrivains parce que nous faisons différemment une chose que tout le monde autour de nous sait faire : écrire. C’est là que réside toute la subtilité.”

“ Les mots c’est bien, Marcus. Mais n’écrivez pas pour qu’on vous lise : écrivez pour être entendu.”

— Rien ne vaut un bon face à face, l’écrivain. Le téléphone, c’est beaucoup trop impersonnel.

“Qui ose, gagne, Marcus. Pensez à cette devise à chaque fois que vous êtes face à un choix difficile. Qui ose, gagne.”

On paie beaucoup d’argent pour une affiche dont la durée de vie est limitée et dont le nombre de gens qui la verront est limité aussi : il faut que ces gens soient à New York et prennent cette ligne de métro à cet arrêt dans un espace de temps donné. Alors que désormais, il suffit de susciter l’intérêt d’une façon ou d’une autre, de créer le buzz comme on dit, de faire parler de vous, et de compter sur les gens pour parler de vous sur les réseaux sociaux : vous accédez à un espace publicitaire gratuit et illimité. Des gens à travers le monde entier se chargent, sans même s’en rendre compte, d’assurer votre publicité à une échelle planétaire.

Car la force des écrivains, Marcus, c’est qu’ils décident de la fin du livre. Ils ont le pouvoir de faire vivre ou de faire mourir, ils ont le pouvoir de tout changer.

“Parfois le découragement vous gagnera, Marcus. C’est normal. Je vous disais qu’écrire c’est comme boxer, mais c’est aussi comme courir. C’est pour ça que je vous envoie tout le temps battre le pavé : si vous avez la force morale d’accomplir les longues courses, sous la pluie, dans le froid, si vous avez la force de continuer jusqu’au bout, d’y mettre toutes vos forces, tout votre cœur, et d’arriver à votre but, alors vous serez capable d’écrire. Ne laissez jamais la fatigue ni la peur vous en empêcher. Au contraire, utilisez-les pour avancer.”

Et le véritable art dérange. L’art consensuel n’est que le résultat de la dégénérescence du monde pourri par le politiquement correct.