Musk restructure l’entreprise de manière à ne plus avoir deux départements d’ingénierie distincts. Les ingénieurs feront équipe avec les chefs de produit. Il appliquera par la suite cette conception à Tesla, SpaceX et, plus tard encore, Twitter. Séparer le design d’un produit de son ingénierie, c’est le dysfonctionnement assuré. Si un objet qu’ils ont conçu se révèle difficile à fabriquer, il faut que les designers soient tout de suite confrontés aux écueils soulevés. Il y ajoute un corollaire, bénéfique pour les fusées mais moins pour Twitter : les ingénieurs, et non les chefs de produit, doivent mener l’équipe.
Il a lu le livre de Clayton Christensen, Le Dilemme de l’innovateur,
La chose qui a frappé ses collègues chez PayPal, en plus de sa manière d’être implacable et brusque, c’est sa volonté – et même son envie – de prendre des risques. « En règle générale, les entrepreneurs ne sont pas des preneurs de risques, souligne Roelof Botha. Ils visent plutôt à les atténuer. Ils ne s’épanouissent pas dans le risque, ils ne cherchent jamais à l’amplifier, ils essaient plutôt de déterminer les variables qu’ils peuvent contrôler et de minimiser cette part de risque. » Pas Musk. « Il cherchait à l’amplifier et à couper toute retraite possible, de sorte que nous ne puissions jamais faire marche arrière. » Pour Botha, le crash de la McLaren s’impose comme une métaphore : accélérateur à fond, et on verra bien jusqu’où le compteur grimpera.
« Nous avons cette flamme délicate de la conscience qui vacille, ajoute Musk, et c’est peut-être le seul exemple de cette conscience. Il est donc essentiel de la préserver. Si nous sommes capables d’aller sur d’autres planètes, la durée de vie probable de la conscience humaine sera bien plus longue que si nous restons bloqués sur une Terre exposée au risque d’être heurtée par un astéroïde ou de détruire sa civilisation. »
Voyager vers d’autres planètes constituerait, selon lui, l’une des avancées les plus cruciales de l’histoire de l’humanité. « Il n’existe qu’une poignée de vraies grandes étapes essentielles : la vie monocellulaire, la vie multicellulaire, la différenciation des plantes et des animaux, l’extension de la vie des océans à la terre, les mammifères, la conscience, résume-t-il. À cette échelle, la prochaine étape importante est évidente : rendre la vie multiplanétaire. »
L’objectif, déclare-t-il lors d’une première présentation, est de lancer la première fusée d’ici septembre 2003 et d’envoyer une mission inhabitée sur Mars d’ici 2010. Il continue ainsi dans la tradition qu’il a instaurée avec PayPal : se fixer des échéances irréalistes qui transforment ses idées les plus folles en les faisant simplement passer du domaine de l’insensé à celui de la réalisation très tardive.
« La question n’est pas d’éviter les problèmes, dit Mueller. Ce qui compte, c’est la vitesse à laquelle vous comprenez la nature du problème et trouvez une solution. »
« Comme c’était la première fois que je concevais une voiture, j’ai étudié toutes les voitures géniales pour essayer de comprendre ce qu’elles avaient de spécial, dit-il. Je me prenais la tête pour le moindre détail. »
Pour réussir le lancement d’un nouveau produit, comme Steve Jobs l’a montré avec ses mises en scène spectaculaires, il est important de générer un buzz qui transforme ce produit en un objet de désir.
« Je me suis rendu compte que quand on investit dans une entreprise, il faut passer son temps à l’atelier »,
« Le succès ne vient pas du produit, explique-t-il. Il vient de votre capacité à fabriquer le produit de manière efficace. Ce qui compte, c’est la fabrication de la machine qui fabrique la machine. En d’autres termes, comment faut-il concevoir l’usine ? »
Musk objecte que se situer à l’autre extrême peut s’avérer handicapant pour un dirigeant. Vouloir être copain avec tout le monde, dit-il à l’époque à Marks, cela conduit à trop se préoccuper des émotions de la personne que l’on a en face de soi au lieu de penser avant tout au succès de l’entreprise dans son ensemble – c’est donc une approche qui peut conduire à blesser au bout du compte un bien plus grand nombre de gens. « Marks refusait de mettre quiconque à la porte, explique Musk. Je lui disais : “Michael, ce n’est pas possible que tu demandes aux gens de se bouger le cul, et qu’il ne leur arrive rien s’ils ne se bougent pas le cul.” »
« Je dois avoir les deux mains sur le volant, confie Musk à Drori. Pour moi, ce n’est pas possible qu’on soit deux à conduire. »
« Sur le plan karmique, ça a été un exercice intéressant, dit-il. Après avoir été assassiné par les meneurs de la prise de pouvoir, comme César au Sénat, j’aurais pu dire : “Vous êtes des cons, les mecs.” Mais je ne l’ai pas fait. Si je l’avais fait, le Founders Fund ne serait pas intervenu en 2008 et SpaceX aurait coulé. Je ne crois pas en l’astrologie, ce genre de connerie. Mais le karma, c’est peut-être un truc réel. »
Ensemble, ils trouvent un moyen de faire mieux que simplement disposer le bloc-batterie sous le plancher de la voiture. Ils le conçoivent de telle sorte qu’il fasse partie intégrante de la structure de la voiture. Un exemple de la méthode de Musk, qui veut que les designers chargés de la conception de la voiture travaillent main dans la main avec les ingénieurs chargés de déterminer comment la voiture sera fabriquée. « Dans d’autres boîtes où j’avais bossé, dit von Holzhausen, il y avait cette mentalité très cloisonnée où un designer avait une idée qu’il balançait, comme ça, sans discussion, à un ingénieur qui travaillait dans un autre bâtiment ou carrément dans un autre pays. » Musk réunit les ingénieurs et les designers dans la même pièce. « L’idée, pour nous, c’était de créer des designers qui pensaient comme des ingénieurs et des ingénieurs qui pensaient comme des designers », souligne von Holzhausen.
Tesla hérite d’un autre principe crucial né dans le studio de design d’Apple. Lorsque Jony Ive, en 1998, conçoit le sympathique iMac aux couleurs acidulées, il lui ajoute une poignée de transport. Celle-ci n’a pas vraiment d’utilité, car l’iMac, puisqu’il s’agit d’un ordinateur de bureau, n’a pas vocation à se faire trimbaler. Mais elle est signe de convivialité. « Avec cette poignée sur l’ordinateur, la relation devient possible, expliquait Ivy. La machine peut être approchée. Elle vous donne la permission de la toucher. »
« Les sentiments négatifs sont corrélés aux événements négatifs, alors le vrai problème, c’est peut-être que je me laisse trop gagner par ce dans quoi je m’engage. »
“Si tu traverses un enfer, ne t’arrête pas !” »
Musk calcule que, les bons jours, il prend une centaine de décisions fermes en arpentant les chaînes. « Au moins 20 % de ces décisions seront mauvaises, et nous les modifierons plus tard, admet-il. Mais si je ne prends pas de décisions, on est morts. »
« L’automatisation excessive de Tesla était une erreur, tweetera-t-il. Pour être précis, c’était mon erreur. On sous-estime les humains. »
Neal Boudette, du New York Times, s’est rendu à Fremont pour effectuer un reportage sur Elon Musk en action, et il découvre la tente en cours de montage sur le parking. « Si le mode de pensée conventionnel rend votre mission impossible, lui déclare Musk, alors il devient nécessaire d’adopter un mode de pensée non conventionnel. »
Éliminez toutes les parties éliminables du processus technique. Il se peut que vous ayez à les réintégrer plus tard. En fait, si vous ne finissez pas par en réintégrer au moins 10 %, c’est que vous n’en aviez pas supprimé assez.
« Pour ce qui est de l’algorithme, je suis devenu un vieux disque rayé, admet Musk. Mais je pense que ça aide de le répéter jusqu’à en avoir marre. » L’algorithme comporte cinq commandements : 1. Remettez en cause toutes les conditions requises. Chacune d’elles devrait porter le nom de la personne qui l’a formulée. N’acceptez jamais qu’une condition requise vienne simplement d’un département, comme « le département juridique » ou « le département sécurité ». Il faut connaître le nom de la personne précise qui a formulé cette demande. Ensuite, si intelligente que soit cette personne, il faut remettre sa demande en question. Les conditions requises des gens intelligents sont les plus dangereuses, parce que les autres sont moins à même de les questionner. Ne vous en abstenez jamais, même si cette condition vient de moi. Ensuite, rendez cette condition moins stupide. 2. Éliminez toutes les parties éliminables du processus technique. Il se peut que vous ayez à les réintégrer plus tard. En fait, si vous ne finissez pas par en réintégrer au moins 10 %, c’est que vous n’en aviez pas supprimé assez. 3. Simplifiez et optimisez. Cela doit venir après l’étape deux. Une erreur courante consiste à simplifier et à optimiser une pièce ou un processus qui ne devrait en fait même pas exister. 4. Raccourcissez les cycles. Chaque processus peut être accéléré. Mais faites-le seulement après avoir respecté les trois premières étapes. Au sein de l’usine Tesla, j’ai passé beaucoup de temps, à tort, à accélérer des processus dont j’ai plus tard compris qu’ils auraient dû être supprimés. 5. Automatisez. Cela vient en dernier. Ma grande erreur dans le Nevada et à Fremont aura été de commencer par tenter d’automatiser toutes les étapes. On aurait dû attendre d’avoir remis en cause toutes les conditions requises, supprimé les éléments et les processus techniques, et de s’être débarrassé des bugs.
Tous les directeurs techniques doivent avoir fait l’expérience directe des processus techniques. Par exemple, les directeurs des équipes logiciel doivent passer au moins 20 % de leur temps à coder. Les directeurs des équipes toits solaires doivent passer du temps sur les toits à effectuer des installations. Sinon, ils sont comme un officier de cavalerie qui ne sait pas monter à cheval ou comme un général qui ne sait pas manier l’épée.
L’algorithme s’accompagne parfois de quelques corollaires, parmi lesquels : Tous les directeurs techniques doivent avoir fait l’expérience directe des processus techniques. Par exemple, les directeurs des équipes logiciel doivent passer au moins 20 % de leur temps à coder. Les directeurs des équipes toits solaires doivent passer du temps sur les toits à effectuer des installations. Sinon, ils sont comme un officier de cavalerie qui ne sait pas monter à cheval ou comme un général qui ne sait pas manier l’épée. L’esprit de camaraderie est dangereux. Il complique la remise en question du travail des autres. On a tendance à refuser de pointer un collègue du doigt. C’est à éviter. On a le droit de se tromper. Il faut simplement éviter d’avoir confiance en soi quand on se trompe. Ne demandez jamais à vos troupes de faire des choses dont vous ne voudriez pas vous charger. Chaque fois que des problèmes sont à résoudre, ne vous contentez pas de réunir vos cadres. Sautez d’un niveau, rencontrez les employés du niveau inférieur à celui de vos cadres. À l’embauche, cherchez des candidats avec le bon état d’esprit. Les compétences, ça se transmet. Mais un vrai changement d’attitude nécessite une greffe de cerveau. Nous n’avons qu’un principe opérationnel : un sentiment d’urgence maniaque. Les seules règles sont celles dictées par les lois de la physique. Tout le reste n’est que simple recommandation.
En général, Musk ne fait pas de sentiment avec les employés qui partent. Il apprécie le sang neuf. Il se défie plutôt d’un phénomène qu’il appelle « le relâchement des riches » : celui-ci désigne les gens qui travaillent depuis longtemps dans la société et qui, parce qu’ils ont assez d’argent et de maisons de vacances, manquent de la hargne requise pour passer la nuit à l’usine.
« Je donne un feedback hardcore aux gens, mais qui est pour l’essentiel précis, et j’essaie de le faire d’une façon qui n’est jamais personnelle. J’essaie de critiquer l’action, pas l’individu. Nous faisons tous des erreurs. Ce qui compte, c’est que la personne réagisse bien au feedback, accepte de rechercher la critique auprès de son entourage et puisse s’améliorer. La physique se moque des ego blessés. Ce qui lui importe, c’est si vous fabriquez correctement la fusée ou pas. »
Tony rappelle qu’il est ingénieur et ne monte pas lui-même sur les toits pour réaliser les installations. « Alors tu es à la ramasse et tu ne sais pas de quoi tu parles ! réplique Musk. Voilà pourquoi tes toits sont merdiques et prennent tant de temps à être installés. »
Aidé par l’adresse infaillible du producteur Lorne Michaels pour mettre en valeur ses invités,
Votre idée a-t-elle une chance de réussite supérieure à zéro ? En ce cas, utilisez-la !
Quand vous n’êtes plus en mode survivre ou mourir, ce n’est pas si facile d’être motivé tous les jours.
Ne pas avoir peur de perdre. « Tu perdras, souligne Musk. Les 50 premières fois, cela fera mal. Quand tu te seras habitué à perdre, tu joueras chaque partie avec moins d’émotion. » Tu seras plus intrépide, tu prendras plus de risques.
Parmi ces leçons, mentionnons : L’empathie n’est pas un atout. « Il sait que, contrairement à lui, je possède le gène de l’empathie, et que ça m’a causé du tort dans les affaires, reconnaît Kimbal. Polytopia m’a appris à saisir sa manière de penser, quand on supprime toute empathie. Quand vous jouez à un jeu vidéo, il n’y a aucune empathie, vous voyez ? » Jouer à la vie comme à un jeu. « J’ai cette sensation, confie un jour Zilis à Musk, qu’enfant tu jouais à l’un de ces jeux de stratégie et ta mère a débranché le truc, mais, toi, tu n’as rien remarqué, et tu as continué de jouer à la vie comme si c’était la suite de ce jeu. » Ne pas avoir peur de perdre. « Tu perdras, souligne Musk. Les 50 premières fois, cela fera mal. Quand tu te seras habitué à perdre, tu joueras chaque partie avec moins d’émotion. » Tu seras plus intrépide, tu prendras plus de risques. Être proactif. « Je suis une Canadienne un peu pacifiste et dans la réaction, reconnaît Zilis. Mon mode de jeu consistait à être 100 % réactive à ce que faisaient tous les autres, au lieu d’élaborer la meilleure stratégie pour moi. » Elle s’est rendu compte que, comme chez beaucoup de femmes, cela reflétait son mode de comportement dans le travail. Musk et Mark Juncosa lui ont fait remarquer qu’elle ne pourrait jamais gagner tant qu’elle ne prendrait pas en charge la mise au point de la stratégie. Optimiser chaque tour. Dans Polytopia, on ne dispose que de 30 tours, il convient donc d’optimiser chacun de ces tours. « Comme dans Polytopia, on n’a qu’un certain nombre de tours dans la vie, dit Musk. Si nous en laissons échapper certains, nous n’irons jamais sur Mars. » Doubler la mise. « Elon joue à ces jeux en repoussant toujours la limite de ce qui est possible, explique Zilis. Et il double toujours la mise en réinjectant toujours tout dans le jeu, pour grandir, grandir. Et on a l’impression qu’il n’a rien fait d’autre de toute sa vie. » Ne pas se tromper de combat. Dans Polytopia, on peut se retrouver encerclé par six tribus ou davantage, qui toutes s’attaquent à vous. Si vous ripostez contre toutes, vous perdrez. Musk n’a jamais pleinement intégré cette leçon, et Zilis s’est retrouvée en position de le guider sur ce plan. « Mec, en ce moment, tout le monde te tombe dessus, mais si tu ripostes trop de tous les côtés, tu vas finir à court de ressources », lui a-t-elle expliqué. Elle appelait cette méthode la « minimisation des fronts ». C’est une leçon qu’elle a aussi tenté de lui enseigner concernant son attitude sur Twitter, mais en vain. Déconnecter de temps à autre. « Je devais m’arrêter de jouer, parce que cela détruisait mon mariage », admet Kimbal. Shivon Zilis a aussi supprimé Polytopia. Grimes en a fait autant. Et, pendant un temps, Musk les a imités. « J’ai dû retirer Polytopia de mon téléphone parce que cela occupait trop de cycles mentaux, admet-il. Je finissais par rêver de Polytopia. » Mais l’autre leçon qu’il n’a jamais maîtrisée, c’est celle de la déconnexion. Au bout de quelques mois, il a réinstallé le jeu sur son téléphone et s’est remis à aligner les parties.
Dans la confrérie réduite des individus ayant détenu le titre de la personne la plus riche de la planète, Musk et Gates présentent quelques similitudes. Ils possèdent tous les deux un esprit analytique, une faculté de concentration hors du commun et une assurance intellectuelle qui frise l’arrogance. Ni l’un ni l’autre ne tolèrent la sottise.
Début avril, Shivon Zilis remarque qu’il trahit la nervosité de l’addict aux jeux vidéo qui, après avoir enchaîné les triomphes, se révèle incapable de débrancher. « Rien ne t’oblige à être constamment dans un état de guerre, lui rappelle-t-elle. Ou alors, c’est que tu te sens plus à l’aise en période de guerre ? – Ça fait partie de mes réglages par défaut », lui répond-il. « C’était comme s’il avait remporté la grande simulation mais se sentait perdu, incapable de savoir quoi faire ensuite, me raconte-t-elle. Pour lui, les périodes de calme plat trop prolongées deviennent perturbantes. »
Au cours de leur entrevue, il trouve Parag Agrawal d’un abord agréable. « C’est vraiment un type sympa », dit-il. Or, c’est là le problème. Si vous demandez à Musk quels sont les traits de caractère indispensables chez un PDG, il ne mentionnera pas « être vraiment un type sympa ». Selon l’un de ses préceptes, les dirigeants d’entreprise ne doivent pas chercher à se faire aimer.
« J’interface beaucoup mieux avec des ingénieurs qui sont capables de programmer dans le dur qu’avec des types du genre directeurs de programme/MBA, lui confie-t-il par SMS.
Musk apprécie le fait qu’Agrawal soit un ingénieur, et non un PDG ordinaire. « J’interface beaucoup mieux avec des ingénieurs qui sont capables de programmer dans le dur qu’avec des types du genre directeurs de programme/MBA, lui confie-t-il par SMS.
Dans le vacarme d’un morceau de Dr. Dre, Musk arrive sur scène au volant d’une Tesla Roadster noire, la toute première voiture que l’entreprise a construite. Il fournit quantité de statistiques sur les dimensions colossales de l’usine de plus de 90 000 mètres carrés, puis il met le tout en perspective en précisant qu’elle pourrait contenir 194 milliards de hamsters. Après avoir passé en revue la liste des étapes marquantes qu’a franchies Tesla, il insiste sur ce qu’il présente comme son objectif ultime : « La Conduite entièrement autonome, promet-il, va révolutionner le monde. »
« Pourquoi on ne peut pas faire ça plus vite ? » est l’une de ses questions préférées. Parfois, il reste planté là et il observe en silence pendant quatre ou cinq minutes.
« C’est vrai que si les troupes voient leur général sur le champ de bataille, elles se sentent motivées. Partout où Napoléon se montrait, c’était aussi là que ses armées combattaient le mieux. Même si je me contente d’une apparition, ils me regarderont et se diront qu’au moins je n’ai pas passé la nuit à faire la fête. »
La plupart de ses clients, s’ils sont confrontés à trois ou quatre options de cet ordre, demandent à leur banquier laquelle il préconise. Au contraire, Musk pose des questions détaillées sur chaque option, mais ne sollicite aucune recommandation. Il préfère prendre ses décisions tout seul.
Musk peut se révéler d’un entêtement forcené. Il possède une obstination capable de déformer la réalité, assortie d’une propension à passer outre les pessimistes. Cette dureté fait peut-être partie des superpouvoirs qui ont engendré sa réussite, ainsi que quelques retours de flamme. L’un de ses autres traits de caractère est moins connu : il est capable de changer d’avis. Il lui arrive d’accepter des arguments qu’il semblait rejeter et de recalibrer les risques qu’il est prêt à courir.
En entendant son léger accent français, je comprends qu’il s’agit du Ben – Ben San Souci – qui a voulu parler de modération de contenu à Musk pendant que celui-ci buvait son café. Il a le profil type de l’ingénieur et réseauter n’est pas dans sa nature, mais voilà qu’il se retrouve tout à coup dans le premier cercle de Musk. Une démonstration de l’intérêt des heureux hasards – et d’être surtout présent là où les choses se passent.
« D’après mon expérience, les individus sont importants, mais les équipes comptent aussi. Au lieu de juste isoler les bons codeurs, je crois que ce serait pertinent de trouver les équipes de gens qui fonctionnent vraiment bien ensemble. » Dhaval médite quelques instants cette information et acquiesce : « James, moi et les autres membres de l’équipe Autopilot, nous sommes toujours ensemble, les idées circulent super vite et ce que nous produisons en tant qu’équipe est supérieur à tout ce qu’aucun d’entre nous pourrait faire individuellement. » Andrew fait remarquer que c’est aussi la raison pour laquelle Musk préfère le travail en présentiel au télétravail. Une fois encore, Ben n’hésite pas à exprimer son désaccord : « Je crois en l’intérêt de venir au bureau, et je le fais. Mais je suis programmeur et je ne peux pas travailler correctement si je suis interrompu toutes les heures. Alors parfois je ne viens pas. Peut-être que l’idéal, c’est le mode hybride. »
– Des responsables produit qui ne connaissent absolument rien au codage ordonnent sans cesse la création de fonctionnalités qu’ils ne savent absolument pas créer, renchérit James. Comme des généraux de cavalerie qui ne sauraient pas monter à cheval. » C’est une expression fétiche de Musk.
Dernier facteur de filtrage voulu par Musk après l’excellence et la loyauté : la motivation. Depuis toujours, il est lui-même un travailleur hardcore qui se donne à fond. Pour lui, c’est une marque d’honneur. Il dédaigne les gens qui, ayant réussi leur carrière, aiment prendre des vacances.
La méthode de Musk, depuis la fusée Falcon 1, consiste à pratiquer l’itération rapide, prendre des risques, être brutal, accepter parfois les échecs et puis réessayer.
Il leur suggère aussi d’en faire une sorte de jeu vidéo où ils suivraient l’évolution de leur score de jour en jour. « Les jeux vidéo sans score, on s’ennuie, alors ce sera motivant de voir chaque jour le kilométrage par intervention augmenter. »
« C’est comme ça que les civilisations sombrent dans le déclin. Elles cessent de prendre des risques. Et quand elles cessent de prendre des risques, leurs artères durcissent. Année après année, il y a de plus en plus d’arbitres et de moins en moins d’acteurs. »
C’est pour ça que l’Amérique n’est plus capable de construire des engins comme des trains à grande vitesse ou des fusées qui vont sur la Lune. « Quand vous avez eu du succès pendant trop longtemps, vous perdez l’envie de prendre des risques. »
Musk, lui, croit pour construire ses fusées en la méthode de « l’échec accéléré ». Prendre des risques. Apprendre en faisant tout péter. Revoir sa copie. Réparer. « On ne veut pas concevoir des engins qui visent à éliminer tous les risques, dit-il. Sinon on n’irait jamais nulle part. »