Aphorismes_(Oscar_Wilde)

Prétendez-vous bon et l’on vous prendra très au sérieux. Prétendez-vous mauvais et il en ira autrement. Telle est l’effarante stupidité de l’optimisme.

Il y a des moments où il faut choisir entre vivre sa propre vie pleinement, entièrement, complètement, ou traîner l’existence dégradante, creuse et fausse que le monde, dans son hypocrisie, nous impose.

Dans ce monde il n’existe que deux tragédies : ne pas obtenir ce que l’on veut, et obtenir ce que l’on veut. La dernière est de loin la pire – la dernière est un vrai drame.

Les gens ne cessent de dire qu’il est beau d’avoir des certitudes. Il semble qu’ils aient complètement oublié la beauté bien plus subtile du doute. Croire est tellement médiocre. Douter est tellement absorbant. Rester vigilant, c’est vivre ; être bercé par la certitude, c’est mourir.

Je ne vois vraiment rien de romantique dans une demande en mariage. Il est très romantique d’être amoureux, mais une demande en mariage explicite n’a vraiment rien de romantique. Il se peut qu’elle soit acceptée. C’est, je crois, le cas le plus fréquent. Alors toute l’excitation disparaît. L’incertitude est l’essence même de l’aventure amoureuse.

Un sourire éternel est bien plus fastidieux qu’un perpétuel courroux. Le premier élimine toute possibilité, l’autre en suggère des milliers.

Une seule chose est pire que l’Injustice, c’est la Justice qui n’a pas son glaive à la main. Sans Force, le Droit agit pour le Mal.

Tous sans exception, nous passons nos jours à chercher le secret de la vie. Eh bien, le secret de la vie est dans l’art.

La vérité est rarement pure et jamais simple. La vie moderne serait extrêmement ennuyeuse si elle était l’une ou l’autre et la littérature moderne ne pourrait pas exister.

La majorité des gens gâchent leur vie par un altruisme malsain et exagéré.

Il faudrait communier avec la joie, la beauté, la couleur de la vie. Moins on parle des horreurs de la vie, mieux ça vaut.

Ne vous laissez pas entraîner sur les chemins de la vertu – c’est le pire défaut des femmes. Elles veulent toujours que nous soyons bons. Et si nous sommes bons quand elles nous rencontrent, elles ne nous aiment pas du tout. Elles aiment que nous soyons irrémédiablement mauvais lorsqu’elles nous trouvent, et nous abandonner quand nous sommes devenus horriblement bons.

Ce qu’on appelle manque de sincérité est tout simplement la méthode par laquelle nous multiplions nos personnalités.

L’essence de la pensée, comme l’essence de la vie, est la croissance.

Nous ne sommes jamais plus en accord avec nous-mêmes que quand nous sommes inconséquents.

Nous vivons à une époque où le superflu est notre seule nécessité.

Les femmes, comme l’a dit un Français plein d’esprit, nous inspirent le désir de réaliser des chefs-d’œuvre et nous empêchent toujours de les mener à bout.

Dans les affaires très sérieuses, l’essentiel est le style, pas la sincérité.

On peut résister à tout sauf à la tentation.

Il est relativement rare, de nos jours, d’être témoin de passions vraiment grandioses. Elles sont le privilège de ceux qui n’ont rien à faire. C’est la seule raison d’être des classes oisives d’un pays.

Le secret de la vie n’existe pas. Le but de la vie, si elle en a un, est simplement de toujours aller à la recherche des tentations. Elles ne sont pas tellement nombreuses ; il m’arrive parfois de ne pas en trouver une seule de toute la journée. C’est assez atroce. On finit par douter de l’avenir.

J’ai bien peur que les gens bons fassent beaucoup de tort dans ce monde. Leur plus grand tort est certainement de donner autant d’importance au mal.

Un sentimental est un homme qui donne à tout une valeur absurde et qui n’a aucune idée du prix de quoi que ce soit.

La signification de tout bel objet créé est au moins autant dans l’âme de celui qui le regarde que dans celle de celui qui l’a façonné. Ou plutôt, c’est le spectateur qui donne au bel objet ses innombrables significations, qui en fait une chose merveilleuse à nos yeux et qui le relie à notre époque de manière inédite, de sorte qu’il devient une part essentielle de nos vies et un symbole de ce que nous désirerions tant posséder, ou peut-être de ce que, l’ayant tant convoité, nous craignons qu’on nous accorde.

La Renaissance a été une grande époque parce qu’elle n’a pas cherché à résoudre de problèmes sociaux et que ces préoccupations ne l’intéressaient pas ; elle a permis à l’individu de se développer librement, naturellement, dans la beauté ; c’est pour cela qu’elle a produit des artistes immenses et singuliers et des hommes immenses et singuliers.

Un artiste n’est jamais morbide. L’artiste peut tout exprimer.

Une idée qui n’est pas dangereuse ne mérite pas d’être appelée idée.

Ne faire absolument rien est ce qu’il y a de plus difficile au monde, de plus difficile et de plus intellectuel. Pour Platon, passionné de sagesse, c’était la plus noble forme d’énergie. Pour Aristote, passionné de savoir, c’était aussi la plus noble forme d’énergie. La passion de la sainteté a conduit dans cette voie le bienheureux et le mystique de l’époque médiévale.

J’adore les plaisirs simples. Ils sont le dernier refuge des personnes compliquées.